Conférence de presse de présentation de l’avis de déi Lénk sur le Rapport du groupe d’experts

Rapport du groupe d’experts – Avis déi Lénk  

Introduction

D’emblée, force est de constater que la pertinence et l’utilité de ce rapport sont loin d’être évidentes – sauf, peut-être, pour le ministre qui l’a commandé et financé. Car il lui sera loisible d’interpréter les analyses et les recommandations de ce rapport comme une confirmation de ses propres positions quant aux relations entre l’Etat et les communautés religieuses.

Dès le départ, l’orientation du groupe d’experts était discrètement guidée par le gouvernement – notamment par la première des deux questions qui définissaient sa mission.

« Les conventions actuelles telles que régies par l’article 22 de la Constitution répondent-elles encore aux réalités socioculturelles du Luxembourg et au principe de l’égalité de traitement et du respect des droits de l’homme préconisé par le Conseil de l’Europe ? »

La question suggère que le problème le plus important serait l’application du principe de conventionnement aux différentes communautés religieuses et que la piste à suivre serait une adaptation du système conventionnel, sans mettre en question le principe sur lequel il se fonde. Or ce principe, au Luxembourg, repose sur la fausse évidence que l’Etat doit soutenir matériellement et politiquement les communautés religieuses, et, bien sûr, surtout l’Eglise catholique. Le rapport reconnaît d’ailleurs que « l’Eglise catholique bénéficie d’un statut privilégié », mais ce n’est vraiment pas une révélation spectaculaire.

La question de la séparation stricte et nette de l’Etat et des Eglises n’est donc pas vraiment approfondie par les experts, qui se contentent de proposer quelques aménagements mineurs du statu quo, pour un peu plus d’égalité dans le traitement des différentes communautés. Le groupe d’experts propose une « coopération (…) relative et graduée », qui, à notre avis n’exclut pas l’arbitraire, ne garantit pas la justice et pérennisera l’actuelle inégalité de traitement. Le seul résultat concret risque bien de consister en une nouvelle convention avec la communauté musulmane et quelques aménagements des cours de religion à l’école.

Il nous semble que les conclusions et les propositions du des experts sont en contradiction avec « les principes directeurs d’une réforme » énoncés par eux-mêmes à la page 74 du rapport, notamment celui de l’égalité et de la non-discrimination, de la neutralité et de l’impartialité de l’Etat.

1. Séparation Eglises – Etat

Pour nous, c’est une question de principe constitutionnel: le principe de la non-discrimination et de la liberté de pensée dans un Etat moderne implique la neutralité de l’Etat en matière de convictions, notamment religieuses, qu’elles soient liées à des communautés organisées ou non voire à des « cultes ». Le Conseil de l’Europe, dans sa Recommandation 1804 (2007), « constate l’importance du fait religieux dans la société européenne», mais, en même temps, « réaffirme qu’une des valeurs communes en Europe (…) est la séparation de l’Eglise et de l’Etat », avant de noter, évidemment, « des degrés divers de séparation ».

Nous plaidons pour une application conséquente de ce principe de la séparation. Car l’Etat n’a pas à préférer, favoriser voire subventionner des groupes de citoyens en fonction de leurs convictions, conceptions du monde ou philosophies, sous peine de défavoriser voire de mépriser d’autres citoyens en fonction des leurs. Nous ne voulons pas un Etat laïciste hostile à la religion, mais un Etat laïque au sens précis tel qu’il est formulé, par exemple, dans le 2e article de la loi française de 1905 « concernant la séparation des Eglises et de l’Etat » : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » L’application de ce principe implique évidemment la suppression des articles 22(conventionnement), 106(traitement des ministres des cultes) et 119 (disposition transitoire en attente des conventions). Par contre, il conviendrait d’inscrire dans la Constitution un article suffisamment précis pour empêcher un laminage discret du principe de la séparation par des lois, des règlements ou des conventions. Le Groupe d’experts le confirme expressément en soulignant, à propos de l’article 106, que la non inscription du soutien financier dans la constitution « n’entame pas la faculté de l’Etat de poursuivre dans la voie du soutien. » (p. 76)

Il faut aussi préciser que la création des « maisons de la laïcité » et leur subventionnement éventuel, négligeable par rapport à celui de l’Eglise catholique, ne constitue pas une réponse à la question des relations Etat – Eglises. D’ailleurs la plupart des associations laïques n’a ni prôné ni salué la création de telles structures, craignant au contraire qu’elles serviraient d’alibi pour éviter le problème de fond : celui de la séparation Etat – Eglises.

Le maintien du conventionnement, même avec des critères plus précis tels que proposés par le groupe d’experts, et qui inclurait la rémunération des ministres du culte, n’est pas compatible avec le principe de la séparation Etat – Eglises.

Ceci dit, il conviendra d’éviter à la fois un privilège injustifié pour les communautés religieuses, et une discrimination tout aussi injuste par rapport à d’autres communautés ou associations. Il s’agit essentiellement d’une question de justice et d’égalité, qui devrait être débattue sans parti pris et sans dogmatisme.

Conformément à l’avis des experts, les fabriques d’Eglise sous leur forme actuelle seraient à supprimer.

2. La liberté religieuse, une liberté de conviction comme une autre

La suppression des articles constitutionnels nommés ci-devant ne menace d’aucune façon la « liberté religieuse ». Elle est amplement garantie par l’article 19 de la Constitution: « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions religieuses, sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de ces libertés. »

La liberté dite religieuse n’étant ni plus ni moins qu’une application du principe général de la liberté de conscience et d’expression, elle n’est pas compromise par la neutralité de l’Etat – au contraire. La liberté de pensée et d’expression n’est guère compatible ni avec des privilèges, ni avec des discriminations positives ou négatives de certaines convictions par rapport à d’autres. C’est aussi pour cette raison que nous mettons en doute la justification d’une distinction de la croyance religieuse par rapport à d’autres convictions personnelles, telle qu’elle est pourtant accentuée par cet article 19. Nous proposons donc de reformuler cet article de façon à ce qu’il s’applique à toutes les convictions (religieuses ou non).Nous proposons que, dans la nouvelle Constitution, au chapitre sur les libertés publiques et des droits fondamentaux, les articles 24 (liberté d’opinion…) et 19 (liberté des cultes) soient fusionnés dans un article général garantissant la liberté d’opinion et d’expression et d’expression publique (inclusivement cultuelle), mettant ainsi sur un pied d’égalité toutes les convictions , qu’elles soient religieuses ou non.

La phrase concernant les « délits » nous paraît aussi superflue, puisque, dans un Etat de droit, aucune conviction personnelle ou adhésion à quelque communauté que ce soit ne peut justifier un délit. La même remarque vaut pour l’article 24.

3. Religion privée – exercice public

Dans sa recommandation 1720 (2005) « Education et religion », l’Assemblée générale du Conseil de l’Europe déclare que « la démocratie et la religion ne doivent pas être incompatibles », mais que « la politique et la religion ne devraient pas se mélanger » et elle « réaffirme avec force que la religion de chacun, y inclus l’option de ne pas avoir de religion, relève du domaine strictement privé ». Parfois, pour défendre les privilèges des Eglises, on joue sur l’ambiguïté des termes privé – public. Comme si la séparation de l’Etat et des Eglises empêcherait les croyants à manifester publiquement leurs convictions et à exercer leur culte. Nous venons de voir que tel n’est pas le cas (Article 19). On confond (intentionnellement ou non) deux sens différents du terme « public » : l’espace public et la « res publica », l’Etat, sont deux choses différentes. Le droit de s’exprimer et de se manifester dans cet « espace public » n’implique pas un soutien particulier de la part des pouvoirs publics, de l’Etat.

4. Financement privé

La logique de la séparation et l’abandon du financement par l’Etat implique un financement privé auquel nul ne peut être contraint. Il conviendrait donc de compléter l’article 20 :« Nul ne peut être contraint de concourir d’une manière quelconque aux actes et aux cérémonies d’un culte ni d’en observer les jours de repos » par l’ajoute : « ni de contribuer à son financement ». Cette ajoute serait aussi nécessaire si un impôt volontaire pour les communautés religieuses était introduit, afin de protéger toute personne contre d’éventuelles pressions.

5. La tradition comme légitimation ?

A propos de l’article 106 de la Constitution (traitements des ministres du culte), les experts concèdent que « sur le principe (…) il s’agit d’un choix politique. » Mais en ajoutant aussitôt : « La tradition et l’histoire du Grand-Duché plaident néanmoins pour le maintien d’une forme de soutien des communautés cultuelles. » Voilà un étrange raisonnement de la part d’experts pourtant hautement qualifiés. En matière de droits humains, de droits fondamentaux, du principe de non-discrimination, il nous semble généralement admis que la « tradition » ne saurait suffire comme légitimation. Où en serions-nous avec l’évolution des droits de l’homme, et qu’en serait-il de notre combat pour ces droits si on pouvait leur opposer la « tradition ». Or, peut-être à la différence du groupe des experts, nous tenons l’impartialité de l’Etat en matière de conviction pour un droit fondamental.

6. Enseignement : un cours unique de philosophie pratique et civique

Nous estimons que la situation actuelle en matière d’instruction religieuse est intenable pour deux raisons au moins : elle privilégie indûment l’Eglise catholique, et elle produit (dès leur plus jeune âge) une ségrégation inutile et nuisible des enfants en raison de leur croyance et/ou adhésion à une communauté religieuse.

Là encore, le groupe d’experts nous surprend. « Les cours d’enseignement religieux (…) sont, comme nous l’avons signalé, bien suivis par les élèves luxembourgeois », comme si le nombre seul pouvait justifier le maintien d’une situation discriminatoire. Par ailleurs, n’aurait-on pas informé les experts qu’avant la suppression de la « troisième option », les élèves désertaient progressivement les deux cours d’instruction religieuse et de formation morale et sociale.

Nous regrettons fortement que ni dans la réforme de l’école fondamentale ni dans celle des lycées, le gouvernement n’ait osé toucher au tabou de l’instruction religieuse. Nous proposons un cours unique, obligatoire, pour tous les enfants dès l’école fondamentale, un cours de « philosophie pratique et d’éducation citoyenne ». Nous préférons une appellation de ce genre à celle d’une « éducation aux valeurs » qui suggère une sorte d’enseignement doctrinal de valeurs et de normes, alors que, à notre avis, il s’agit précisément d’apprendre la réflexion critique, qui doit questionner aussi la légitimation de normes – sans tomber dans un relativisme douteux. Le cours doit se positionner positivement sur le fondement essentiel de la société démocratique : les droits humains (que l’Eglise catholique ne reconnaît toujours pas dans leur intégralité).

Ce cours pourrait inclure des informations et des réflexions sur le « phénomène religieux », l’histoire et la sociologie des religions, leur étude comparative (conformément à la Recommandation 1720 (2005) du Conseil de l’Europe) – mais sans exclure les pages sombres, les dangers du fanatisme religieux, ni la critique des religions…D’ailleurs tout n’est pas à inventer : des projets de programmes de cours unique ont été élaborés, sont au moins partiellement appliqués dans les cours de formation morale et sociale, et peuvent donc constituer une base utile pour l’introduction d’un cours unique généralisé.

A propos de l’enseignement, nous constatons que la question de l’enseignement confessionnel privé n’est guère abordée – alors que son financement public mérite toujours au moins d’être questionné. Il n’est pas normal qu’un contribuable non-croyant participe au financement d’écoles confessionnelles.


7. Cérémonies publiques

Aucune action publique, aucune cérémonie publique, à quelque niveau que ce soit (Etat, communes…), et à quelque occasion que ce soit ne devrait être officiellement lié à une cérémonie religieuse. Les pouvoirs publics devraient avoir l’obligation d’organiser pour ces occasions des cérémonies non religieuses. Cela vaut pour la fête nationale, autant que pour des commémorations publiques, les cérémonies de deuil ou des activités scolaires… Il va de soi que toute communauté religieuse aura toujours le droit d’organiser sous sa propre responsabilité des cérémonies ou autres manifestations parallèles.

 

logo European Left logo GUE/NGL logo Transform! Europe