Fin des droits de l’homme ? Lettre ouverte de notre député André Hoffmann

Lettre ouverte à Monsieur le Premier Ministre

Monsieur le Premier Ministre,

D’emblée, je vous avoue que je n’en crus pas mes yeux lorsque j’ai lu votre réponse à ma question parlementaire sur le sort douloureux du citoyen tunisien Salmi Taoufik Kalifi, expulsé, arrêté, torturé… Cette réponse témoigne d’une telle inconscience, d’une telle froideur pour les souffrances de ce citoyen expulsé de notre pays, et d’un tel mépris des droits de l’homme que j’ai de la peine à croire que vous l’ayez lue avant de la signer.

Après une perquisition assez brutale dans les milieux musulmans du Luxembourg en 2003, Monsieur Taoufik, de double nationalité tunisienne et bosniaque, fut arrêté et accusé d’activités ou d’intentions terroristes, mais sans inculpation, sans production de preuves. Sa demande d’asile ayant été rejetée, il fut expulsé de force vers la Tunisie. Or, nul ne pouvait ignorer, en 2003 déjà, que la Tunisie était loin d’être vraiment un Etat de droit et que les droits de l’homme n’y étaient pas garantis . Et en effet, Monsieur Taoufik fut arrêté immédiatement à l’aéroport de Tunis, torturé, sa famille fut poursuivie, en 2006 il fut condamné par un tribunal militaire à 6 ans de prison, libéré mais sous surveillance en 2009. Vraiment libre, l’on peut dire, depuis la chute du régime en Tunisie, il déclare dans le reportage récent d’un hebdomadaire luxembourgeois qu’il souffrira toujours des séquelles de la persécution et de la torture et qu’il exigera réparation de l’Etat luxembourgeois, qui est aussi responsable, à ses yeux, de ses souffrances.

A ce sujet, je me suis donc permis de demander au gouvernement de rouvrir le dossier et de répondre à un certain nombre de questions précises. Or, vous n’y répondez pas du tout ou de façon évasive – et parfois avec une insensibilité choquante.

Quelles sont les raisons qui ont conduit aux perquisitions, aux arrestations et à l’expulsion de Monsieur Taoufik en 2003? D’où émanaient les fausses informations? Le gouvernement s’obstine à occulter les sources. Quel était le rôle du Service de renseignement luxembourgeois, ou de Services secrets d’autres Etats? Y eut-il une implication directe ou indirecte des autorités tunisiennes ou des services secrets du régime? Je ne saurais accepter que l’on se réfugie derrière « la sécurité extérieure de l’Etat », comme vous l’avez fait en 2003. Si le gouvernement ne répond pas de façon convaincante à cette question, la modeste autocritique concernant les relations avec le régime tunisien perd sensiblement de sa crédibilité.

Pourquoi n’a-t-on pas procédé à une inculpation de Monsieur Taoufik au Luxembourg, avec la garantie d’un procès selon les normes de l’Etat de droit ? Pas de réponse.

Le refus de la demande d’asile de Monsieur Taoufik était-il justifié par la situation en Tunisie? Le rejet du recours était-il dû à l’impartialité de la justice ou à l’intransigeance du gouvernement et à une méconnaissance de la situation des droits de l’homme dans ce pays ? Ou la question des droits de l’homme était-elle considérée comme secondaire par rapport à la menace terroriste réelle ou imaginaire et les bonnes relations avec des régimes arabes supposer la combattre? Si tel était le cas, pourquoi ne pas l’avouer aujourd’hui et en tirer explicitement les leçons pour demain?

Après l’expulsion, le gouvernement s’est-il intéressé du sort de Monsieur Taoufik ? Est-il intervenu auprès des autorités tunisiennes pour le respect des droits de l’homme ? Votre réponse: « Le Luxembourg n’a pas d’emprise sur le déroulement des procédures judiciaires dans lesquelles Monsieur Kalifi a pu être impliqué en Tunisie ». Je n’arrive pas à croire qu’on entende se libérer à si bon prix de son engagement pour les droits de l’homme ! Avez-vous bien saisi la signification d’une telle formule pour la réaction à toute violation des droits de l’homme ou des normes de l’Etat de droit – ici ou ailleurs – hier, aujourd’hui et demain ? « Pas d’emprise » ?!

Par rapport aux souffrances de Monsieur Taoufik, la réponse du gouvernement n’exprime aucun regret, aucune excuse, n’assume aucune responsabilité, n’ouvre aucune perspective d’une réparation morale voire matérielle.

Par rapport au droit d’information du citoyen luxembourgeois, elle laisse transparaître une insouciance affligeante.

N’ayant pas perdu tout espoir, je me permets de réitérer ma demande: rouvrez le dossier, donnez toutes les informations sur ce qui s’est passé et pourquoi, acceptez le principe d’une réparation au moins morale.

En vous remerciant d’avance, je vous prie d’accepter, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma très haute considération.

André Hoffmann
Député

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