Vote au parlement de la réforme du système de pension

Intervention de Serge Urbany

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Lettre ouverte de Serge Urbany aux député-e-s les appelant à ne pas voter la réforme

Madame, Monsieur le Député,

Chère, cher collègue,

Le 5 décembre 2012 nous sommes appelés à voter un projet de loi touchant aux fondements même de l’un des piliers de l’Etat social, l’assurance pension.

Je choisis cette forme inhabituelle de lettre ouverte pour vous demander de refuser ce projet que je considère non seulement comme antisocial, mais également comme inquiétant au niveau démocratique.

Par cette loi il nous est en effet proposé d’introduire, sur la longue durée, un automatisme de réduction des pensions :

– Les droits à pension seraient réduits d’année en année, pendant 40 ans, par un taux dégressif, d’ores et déjà fixé, appliqué à la « formule de pension » selon « une évidence plus mathématique que politique » (rapport de la commission).

– L’ajustement des pensions à l’évolution des salaires serait réduit annuellement en cas de dépassement des prestations sur les cotisations.

– La « liquidation » (c’est le terme employé) de l’allocation de fin d’année serait acquise au premier dépassement.

Mais les cotisations, et donc les recettes, resteraient inchangées pendant 10 ans. Elles pourraient certes être révisées après 5 ans, mais sans accord politique elles resteraient figées pour dix ans et auraient comme suite un abaissement des prestations.

Quant à la réserve de pensions, qui suffirait déjà aujourd’hui à financer toutes les pensions sans aucune recette durant quatre ans, elle ne serait pas touchée et ne participerait pas à l’adaptation des pensions au niveau de vie.

Ce mécanisme budgétaire régressif à long terme qu’on nous propose de voter n’existe pour l’instant nulle part dans notre droit positif. Il ne fait pas non plus partie de la panoplie de règles établies par l‘Union européenne en matière budgétaire. Celles-ci ne prévoient notamment pas de frein au niveau des recettes, mais seulement un parallélisme des dépenses par rapport au PIB.

En introduisant ce mécanisme régressif, le Gouvernement et son Ministre de la Sécurité Sociale anticipent les souhaits exprimés par l’OCDE dans un récent rapport sur la procédure budgétaire au Luxembourg (*), qui appelle à aller plus loin que la règle européenne de dépenses :

« Un cadre budgétaire qui se conforme à cette règle, tout en se limitant à une période de trois ou quatre ans, ne constitue pas une règle de dépenses, mais une contrainte temporaire sur les dépenses. » Le rapport insiste sur le « rôle déterminant » de règles budgétaires de longue durée « surtout dans le contexte d’un gouvernement de coalition ». Il s’agit « d’exercer une contrainte sur les autorités quand l’économie va bien (en italique dans le texte), notamment par « une règle de compensation automatique de pertes de recettes dues à des allégements fiscaux légiférés ».

Le Ministre de la Sécurité Sociale s’apprête à faire implanter dans le système historique de la sécurité sociale, cogéré par les assurés, un mécanisme destructeur programmé sur le long terme, agissant d’un côté de façon irréversible et progressive à la baisse sur la formule de pension des actifs, agissant de l’autre côté annuellement à la baisse sur le niveau de vie des retraités en bloquant, en principe pour 10 ans, les recettes.

Les deux effets sont appelés à jouer de façon interdépendante: puisque la pension qu’ils espèrent toucher se détériore d’année en année, une augmentation des cotisations pour garantir le niveau de vie des pensionnés sera perçue par les salariés comme une atteinte supplémentaire à leur propre niveau de vie.

C’est un mécanisme malthusien pervers, nécessairement voulu, appelé à opposer salariés actifs et salariés pensionnés, à miner la confiance dans un système public en déclin permanent et … évidemment à nourrir le réflexe de l’assurance privée qui est une assurance individuelle, payée aux propres frais des salariés, engraissant fonds de pension et compagnies d’assurance.

Le projet de loi Mars di Bartolomeo n’abolit pas le système de pensions par répartition. Il l’affaiblit, le paralyse, le décrédibilise et ouvre ainsi la voie à l’assurance privée.

Si l’automatisme qu’il introduit est en plus repris par la nouvelle « règle d’or » budgétaire, imposée par le Traité de stabilité européen, à une majorité de deux tiers, même un gouvernement futur ne pourra plus l’abolir sans l’appui des deux tiers de la Chambre. Elle serait ainsi gravée dans le marbre pour longtemps.

Cette contre-réforme est la plus pernicieuse entre toutes, aussi parce qu’elle occulte entièrement le fait que la question de sécurité sociale est une question salariale. Ce ne sont pas les salariés qui payent les cotisations, mais les employeurs.

La « part salariale » de la cotisation, qui est déduite pour l’instant du salaire brut, fait partie, comme la « part patronale », des charges salariales et est, comme le salaire direct, un salaire, mais indirect, destiné à payer les pensions, payé par l’employeur et allant dans un pot commun géré publiquement.

Les employeurs ont un intérêt primordial à réduire le coût du travail, ils sont les adversaires invétérés des cotisations sociales.

Les salariés n’ont par contre aucun intérêt à ce que baisse leur « salaire indirect » (cotisations), car il fait diminuer leur propre pension à l’avenir.

En mettant en place un scénario de conflit de financement entre « jeunes travailleurs » et « vieux pensionnés », cette nature salariale du conflit autour de la sécurité sociale est volontairement gommée, les employeurs pouvant se montrer « préoccupés » de façon « neutre » par le financement «intergénérationnel » des pensions, alors qu’ils sont les premiers intéressés à voir baisser les cotisations, aujourd’hui et à l’avenir, toutes générations d’employeurs confondues.

Bien sûr, si la productivité ne suivait pas, le financement des pensions dans le cadre d’un vieillissement de la population nécessiterait toujours des moyens supplémentaires. Ceux-ci existent pourtant, mais uniquement dans le système public, par le biais d’une justice redistributive, comme l’a montré de façon exemplaire la Chambre des Salariés.

Le problème de financement se pose d’ailleurs aussi, mais alors de façon individuelle, dans un système de pension privé par capitalisation. Celui-ci dépendra dans la même mesure de la performance de l’économie au moment où les promesses de pension devront se transformer en monnaie sonnante et trébuchante; il dépendra donc lui aussi des générations futures.

Ensuite, il n’est pas du tout certain que la durée de vie augmentera à l’avenir quand se seront développées les conséquences néfastes de l’obligation de travailler plus, introduite également par le présent projet.

Et finalement, la productivité du travail pourrait augmenter avec l’évolution des techniques, la réduction du temps de travail et en cas d’amélioration des conditions d’un « bien-être au travail » (c’était le sujet d’un débat d’orientation récent à la Chambre).

Hélas, ce projet de loi augmente le temps du travail au lieu de l’abaisser, par l’obligation faite de travailler trois années de plus dans quarante ans pour toucher la même pension qu’aujourd’hui dans le système public.

Finalement, ce projet de loi réduit déjà maintenant le niveau des pensions actuelles et futures:

– L’ajustement aux salaires de 2010 et 2011, prévu au 1er janvier 2013, n’aura pas lieu pour les pensionnés actuels et sera définitivement perdu.

– Deux années d’ajustement seront également perdues pour les retraités futurs, un des amendements de dernière minute imposés par le Conseil d’Etat consistant à rattacher les pensions futures au niveau salarial précédant de 4 ans leur début de pension (au lieu de 2 ans actuellement).

Ce projet de loi affaiblira donc structurellement le système de pension public par un abaissement des prestations, ouvrira largement la porte à l’assurance privée, allongera le temps de travail, favorisera les relations de travail précaires et détériorera dès maintenant le niveau des pensions.

Je ne voudrais pas répéter les autres critiques légitimes apportées à cette loi notamment par les syndicats.

Ce projet, c’est la grande anti-réforme de ce gouvernement qui restera à jamais liée au nom du ministre socialiste qui l’aura initiée et menée à terme, mais qui engage aussi notre responsabilité en tant que représentants du peuple le 5 décembre 2012.

Ne faisons pas du 5 décembre 2012 un jour noir dans l’histoire sociale du Luxembourg !

Meilleures salutations

Serge URBANY, député

(*) www.mf.public.lu/publications/divers/ocde_proc_budget_lux_251111.pdf, lire surtout pages 20-23)

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